« Kalos Orisate! » Le chauffeur me souhaite la bienvenue. Sur l’autoroute qui mène de l’aéroport de Larnaca à Pafos, je déchiffre la signalétique comme un enfant de 5 ans qui apprend à lire et à écrire. J’ai beau savoir scander des épitaphes en grec ancien suite à mes années au collège, me voilà bredouillant le nom des villes heureusement sous-titrées en anglais.
Nous roulons à vive allure jusqu’au premier rond-point que le malheureux prend dans le mauvais sens. Je me rends compte avec effroi qu’il est assis du côté passager depuis plus d’une heure. J’ignorais que l’île avait été intégrée à l’empire colonial britannique entre 1878 et 1960 et que la conduite se faisait à gauche.
Après San Sebastian et Wroclaw, Capitales Européennes de la culture en 2016, c’est autour de Pafos d’être élue pour 2017. Un retour sous les projecteurs pour celle qui fut durant 800 ans l’ancienne capitale de Chypre. Cette dernière est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco pour ses trésors archéologiques dont ses mosaïques de Dionysos datant de l’époque romaine. Celles-ci furent, me dira-t-on plus tard, découvertes par hasard alors qu’un paysan labourait son champ de patates.
Pafos 2017 est marquée par une succession de scandales avec notamment le maire, Savvas Vergas, à qui l’on doit la sélection de la ville comme capitale européenne et qui croupit depuis sous les verrous pour corruption.
Le centre ville, lui, s’est endimanché. Hercule n’aurait lui même pas été plus rapide dans les douze travaux d’embellissement de cette cité balnéaire. Ainsi, une artère fraichement bétonnée nous mène vers la place rénovée où se reflète un soleil zénital encore clément.
La capitale européenne de la culture accueille tout au long de l’année des concerts, performances et autres événements situés dans des lieux parfois insolites. Des concerts de guitare seront donnés dans les anciennes tombes royales, des spectacles de breakdance dans les ruines de la ville antique ou encore des installations vidéos dans les entrailles du château. Dans cet « atelier à ciel ouvert » environs 300 projets artistiques et culturels se succèdent.
Situé dans la Méditerranée orientale, Chypre se retrouve au milieu de l’Europe, de l’Asie et du continent africain. L’île est encore divisée en un nord turc et une partie grecque au sud. Le thème retenu pour l’année semble dès lors évident : « Lier les continents, créer des ponts entre les cultures ».
Entre deux visites, on tartine ses toasts de miel au thym, on siffle un verre d’ouzo, on se gave de brochettes d’agneau, de poissons frais grillés, de halloumi (ce fromage chypriote grillé) qu’on accompagne de koupepia (feuilles de vigne farcies) et de keftedes (boulettes de viande). On ramène du sirop de caroubier ou de l’eau de rose. N’omettons pas une pause syndicale pour savourer ce délicieux café turc légèrement sucré. Euh pardon… café grec.
Dans les caves de la Fabrica, des grottes servent de terrain de jeu pour la créative Chiharu Shiota. Dans la continuité de son travail, l’artiste japonaise, déjà présente à la Biennale de Venise en 2015, emmaillote et tisse les grottes entre elles avec du fil en laine rouge pour ce projet « Terra Mediterranea: in Action ». A-t-elle pensé faire cette fois un clin d’oeil à la mythologie ? En tout cas, on pense forcément au fil d’Ariane ou au labeur de Pénélope.
Je prends possession de ma chambre à l’hôtel Almyra, une adresse branchée au design minimaliste doté d’un spa réservé aux adultes. De la porte-fenêtre coulissante, je découvre un accès direct donnant à la piscine et à la plage.
A deux minutes à pieds, on rejoint l’ensemble du port de Pafos. Je remets ma découverte du trésor archéologique de la mer et mon rendez-vous avec Poseidon, le Dieu des océans, dans les tréfonds de la piscine à plus tard car Sergis Hadjiadamos m’attend à la terrasse du restaurant Mediterraneo. Devant une assiette de mezzés et de calamars panés à l’encre noire, le curateur m’explique la genèse de son exposition: « Risky Travels » qui unit le travail de son père, Andy Hadjiadamos aussi appelé Adamos, à celui de Baki Bogac, un Chypriote turc.
Depuis 1974, l’île est séparée en deux parties par une mince bande de terre, la ligne verte qui fait office de zone tampon. De facto, cette ligne divise aussi la capitale Nicosie en deux parties. Au moment de la fracture entre la partie turque et grecque, son père, un sculpteur de renom, fuit sa ville, Famagouste, laissant derrière lui, comme beaucoup d’autres, tout son patrimoine. Quelques années plus tard, le gouvernement turc envoie un architecte, lui aussi sculpteur, faire un état des lieux de l’atelier abandonné. Baki Bogac, ému, récupère une grande partie des sculptures qu’il cachera chez lui des années durant dans l’espoir de pouvoir un jour les restituer à son propriétaire.
Enfin, l’occasion se présente de faire traverser ces pièces de l’autre côté de la frontière grâce à l’ambassade américaine qui veut créer, en 1993, une exposition mêlant le travail d’artistes issus des deux parties en guerre de l’île. Hélas, Andy, notre peintre grec aura passé l’arme à gauche trois ans auparavant. « J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de rencontrer Baki, c’est une bonne personne qui a pris des risques pour protéger et sauver le travail de mon père. Quand j’ai appris qu’il était sculpteur, J’ai pensé à ce dialogue artistique. » Une manière aussi de le remercier. Le résultat est étonnant avec ces oeuvres qui conversent à merveille entre elles.
Sur la partie haute de Pafos, Athina tient boutique juste à côté d’une église. Elle est connue sur toute l’île pour ses doigts de fée. Depuis trente ans, ses broderies illuminent les robes des archevêques orthodoxes. « Certains viennent même de Russie », lâche-t’elle ravie.
Le lendemain, check out de l’hôtel Almyra, après un jus d’orange frais et une tartine de confiture aux noix, et direction la péninsule d’Akamas, à l’extrémité nord-ouest de Chypre. Au milieu de ce parc national forestier se trouve le projet artistique Eco Art. Ce dernier réunit le travail d’artistes locaux et internationaux invités à lier l’art à la nature tout en respectant le patrimoine de l’île.
Cette réserve, à 45 minutes de Pafos, se visite à bord d’une jeep ou lors de randonnées pédestres. Des bergers vivent sur ces terres et s’occupent de leurs brebis et chèvres. Ils produisent leur propre feta et halloumi qui se dégustent au buffet du petit-déjeuner de leur voisin, l’hôtel haut de gamme Anassa, autre membre du groupe Thanos.
Le promeneur solitaire peut suivre le sentier menant aux Bains d’Aphrodite, où, selon la légende, la déesse de l’amour avait l’habitude de se baigner. A mi-chemin, on découvre les jardins botaniques d’Akamas. On dit que la déesse de l’amour a vécu toute sa vie sur cette île et partagé une passion avec le mortel Adonis qui possède lui aussi son propre sentier.
Mon revigorant bain de jouvence se trouve, lui, dans le spa Thalassa du palace. Ici, on ne se soucie plus de culture mais de farniente. Massage detox ou suédois, cours de yoga ou de pilates, le tout agrémenté de jets et de quelques brasses dans l’immense piscine entourée d’une colonnade olympienne.
L’hôtel, dont l’emplacement isolé est à flanc de colline, affiche complet. Et pourtant, il est rare de croiser les autres clients dans les 5 hectares de jardins, plages, spa et piscines extérieures. Les villas, avec parfois leur piscine privée, sont clairsemées dans ce jardin d’Eden où bougainvilliers côtoient des orangers et des oliviers.
Ouvert en 1998, les propriétaires ont aussi construit une petite église orthodoxe sur une petite place typique, animée une fois par semaine par un barbecue et des danses traditionnelles.
A Chypre, il est possible de louer des bateaux avec son permis de conduire de voiture. Alors direction le blue lagoon à une trentaine de minutes de l’hôtel. Ce coin unique de l’île possède une eau turquoise et un sable blanc. D’autres bateaux sont au rendez-vous dont un yacht appartenant à un oligarque russe, nous dit-on. Je ne vois plus personne sur ma bouée en forme de licorne, peut être parce que j’ai un masque XXL sur le nez. Et profite avec joie des beautés marines.
A la tombée de la nuit, lovée dans un canapé de la terrasse, je sirote un mojito à base de pétales de roses sauvage de Chypre, de lime et de rhum, c’est le cocktail signature de l’établissement. Sur la terrasse, les étoiles se mettent à scintiller dans le ciel.
J’imagine la jalouse Héra, déesse du mariage et de la fécondité et épouse de l’infidèle Zeus, entrain de le chercher dans les mille pièces de leur palais olympien: « Mais il m’énerve celui là… Il a encore filé en laissant derrière lui toutes les étoiles allumées! »
Informations pratiques:
Les trois hotels de luxe du groupe familial Thanos& Resorts, Anassa, Annabelle et Almyra, sont situés dans la région de Pafos : www.thanoshotels.com.
Pafos 2017:
Plus d’informations sur les activités culturelles proposées dans la capitale européenne de la culture: www.pafos2017.eu