L’artiste brésilien donne vie aux ordures et ce n’est pas rien. Mais Ruinart ne l’a pas approché pour cette raison. Chaque année, la Maison de Champagne, partenaire des plus grandes foires d’art, donne carte blanche à un artiste de renom. Une manière de partager son patrimoine et son savoir-faire à travers leur vision.
Il aura fallu trois ans pour apprivoiser l’agenda surchargé de Vik Muniz, véritable coqueluche des galeristes, dont Renos Xippas. Leur collaboration se vernissait la semaine dernière à Paris devant un parterre de VIP au Palais Brongniart.
Par battements de cils, j’ai pu envoyer un message visuel de félicitations à l’excellent journaliste Augustin Trapenard (qui a dû penser que je venais de recevoir un jéroboam de Blanc de Blancs dans l’œil).
Est arrivé Thomas Dutronc. Crac boum hue. Je fais une micro parenthèse sur le chanteur accessoirement élu « Homme de mes fantasmes » en 2012. Ne sachant comment l’approcher à l’époque j’avais manigancé un voyage en Corse avec l’idée de frapper à sa porte l’excuse au bout du doigt: « Bonjour, je vous présente mon pneu crevé. » Et là, si je me fie aux comédies romantiques sur Netflix: coup de foudre direct. Dans la réalité, rien de tout cela. Et le voilà télétransporté en 2019 à moins d’un mètre de moi et… rien. RIEN! Le drame. Aucun papillon ne virevolte autour de moi. Comme quoi, l’amour est avant tout une question de timing.
La veille de ce vernissage very mondain et empli de désillusions sentimentales, quelques membres de la presse internationale ont eu droit à un interlude exclusif à Reims dans les 8 kilomètres de galeries qui forment les crayères gallo-romaines de la Maison.
Vik y présentait une installation unique avec 3000 flacons contenant des ampoules LED sensibles aux mouvements et à la chaleur humaine. Si cette œuvre ne bougera pas du site, l’exposition intitulée « Shared Roots », est déjà visible jusqu’au 15 avril sur les grilles de la Bourse à Paris. On la retrouvera en juin à Art Basel.
Elle met en exergue le rapport de l’homme au vignoble et par extension à la nature. L’alchimiste a déjà titillé lesconfettis, la sauce chocolat, le ketchup ou encore la poussière récupérée dans un musée pour réaliser ses oeuvres. Lors de sa résidence en Champagne, au lendemain de vendanges qui sentent fichtrement bons le millésime, il s’est armé de morceaux de bois noircis et a réinterprété les ceps de vignes avant de reconstituer une feuille géante de Chardonnay avec des éléments organiques issus du vignoble historique de Sillery, sur la montagne de Reims.
Clic clac. Le projet, réalisé en collaboration avec Frédéric Panaiotis, le chef de cave, sera dans la boîte après quelques jours de post-production dans son atelier à Rio. Derrière ce retour aux origines de mère nature, une préoccupation non négligeable : le changement climatique et ses conséquences à venir sur la viticulture nationale.
L’artiste protéiforme aime revenir sur l’origine de sa carrière: un riche en smoking qui lui a tiré dessus par erreur, le blessant à la cuisse. Vik a pu obtenir une compensation financière lui facilitant l’achat d’un billet d’avion pour les Etats-Unis. Car oui, sa jeunesse s’est déclinée dans un quartier plutôt pauvre de Sao Paulo. Biberonné aux telenovelas, il obtient dès ses 14 ans une bourse pour étudier le dessin dans une académie, le soir, après l’école. Dans les années 1980, il finit donc par poser ses valises à New York tout en se lançant dans la publicité avant d’expérimenter une méthode qui deviendra sa signature artistique.
Pour remonter à la surface des crayères, la file d’attente se fait longue devant le seul ascenseur. Je profite de la cohue pour l’embarquer vers un raccourci secret : « C’est au fond à gauche, ah non, attendez, mince… Monsieur Muniz, nous sommes officiellement perdus ». 129 marches plus tard, car il s’agit bel et bien de remonter les 40 mètres de profondeur séparant le sous-sol de roches sédimentaires du ciel étoilé, on discute encore de la situation politique de son pays natal. Le lendemain de notre rencontre, une tuerie dans une école de Sao Paulo relancera le débat sur les armes à feu. « Il faut lutter contre la pensée binaire », lâche celui qui passa son adolescence en pleine dictature militaire, dans un climat de détresse politique où l’art contemporain n’était rien d’autre qu’un fléau de la culture.
Un créateur qui transmute les déchets en or
Au fil des années, l’importance du pouvoir de l’art comme véhicule de pensée l’accompagnera dans ses démarches avec l’envie au fond des tripes de rester proche des défavorisés. La série « Sugar Children » marque ce tournant dans sa carrière. Il manipule le sucre sur du papier noir, joue avec la superposition des couches et crée le portrait d’enfants d’ouvriers de plantations de sucre. Un clin d’œil au grain des tirages couplé d’un hommage à une population méconnue de l’île de Saint-Christophe, dans les Caraïbes, main d’œuvre ouvrière qui s’acharne au travail 16 heures par jour sous un soleil de plomb.
Le documentaire « Waste Land », tourné dans une décharge et dans les favelas de Jardim Gramacho, à Rio de Janeiro, le montre collaborant avec les ramasseurs et trieurs de détritus des décharges à ciel ouvert pour créer des œuvres uniques et surdimensionnées. Bingo!
Le film sera nommé aux Oscars en 2011 et l’argent des photos reversé à la communauté locale. Vik parle déjà de son projet encore plus fou qu’il réalisera en novembre au Bangladesh: réunir 6000 réfugiés Rohingyas pour un cliché immortalisé depuis un drone. Un coup de projecteur du ciel pour une population oubliée dans la boue.
Des racines et des étoiles signé David Toutain
Pour clore la soirée rémoise, un dîner crée sur mesure nous attend. Une création autour des racines, pour rester dans le thème de l’exposition, signée par le chef David Toutain qui affiche deux étoiles Michelin. Le chou de Bruxelles, le salsifis et le topinambour paradent dans nos assiettes. Même pas besoin de boire le rince-doigts, la carotte se présente au bras d’un Dom Ruinart Blanc de Blancs 2007.
Une merveille agrémentée d’une conversation autour des actions écologiques de la Maison qui se targue de ses efforts en matière de recyclage et de son désir d’installer des panneaux solaires photovoltaïques sur le domaine: « avec un petit hic: notre maison fondée en 1729 est classée au titre des Monuments historiques depuis 1931, il faut des autorisations », précisera Frédéric Panaiotis.
Hasard ou pas ? A Paris, entre le Marais et la rue Montorgueil, l’hôtel National des Arts & Métiers où nous logerons durant ce séjour s’engage aussi dans une politique de respect de l’environnement avec une centaine de mesures allant de l’économie d’énergies à l’utilisation de produits (« racine »!) issus du commerce équitable ou encore à la limitation des déchets.
Discret derrière sa façade haussmannienne, l’hôtel très branché a même formé son équipe aux éco-gestes. Une manière de sensibiliser aussi la clientèle. Et ça marche! Je suis retournée dans ma chambre après avoir oublié d’éteindre la lumière. Bonne élève, je suis.